« Nous », c’est
qui ? Quelques citoyens, qui se plaisent
à réfléchir ensemble, dans leur
diversité, en toute liberté, et
totalement désintéressés, aux pistes
d’avenir de la Wallonie et à la manière
d’en préparer les fondements au regard
de ses grandes capacités potentielles.
Des citoyennes et des citoyens qui se
réunissent en un Collège régional de
Prospective de Wallonie, fondé en 2004,
et/ou dans un groupe de travail dédié
depuis 2016 à l’étude de trajectoires
wallonnes à l’horizon 2036. C’est
pourtant un terme bien plus court,
puisant donc dans l’actualité délétère,
qui nous incite à publier ces lignes
[1].
Une
Wallonie en transformation
Aujourd'hui, les membres du Collège
mesurent les efforts qui ont été
réalisés, à différents niveaux
institutionnels : pour prendre en charge
les compétences en cours de transfert,
pour répondre aux nouveaux enjeux de la
globalisation économique et financière,
pour appréhender les crises
structurelles de l'éducation - au
travers notamment d'un projet de Pacte
d'excellence pour l'enseignement -, pour
porter une attention nouvelle à la
politique culturelle, pour se saisir des
questions de transitions dans les
modèles de production et de
consommation, notamment dans le domaine
énergétique, pour dépasser les clivages
dans l'enseignement supérieur ainsi que
dans le monde de la santé. Autant de
réponses potentielles aux défis que nous
avions identifiés pour refonder le
projet régional wallon. Ainsi, le Plan
Marshall et la stratégie de
spécialisation intelligente, le
développement des Pôles de
compétitivité, les programmes Creative
Wallonia et Digital Wallonia, les
dynamiques des Centres de compétences,
celles des Bassins d'Enseignement
qualifiant Emploi Formation, le goût
croissant des Wallonnes et des Wallons
pour l'esprit d'entreprendre, les
efforts pour favoriser une meilleure
transmission des entreprises, les
groupements d'entreprises à
l'exportation, les mutualisations entre
les universités et les autres
établissements d'enseignement supérieur
dans les Pôles académiques, etc., toutes
ces initiatives transforment
progressivement la Wallonie et
l'orientent vers des performances
meilleures.
Au-delà de ces enjeux, notre attention
reste fondamentalement tournée vers
trois défis essentiels déjà identifiés
dans le second appel du Collège au
printemps 2014 : notre incapacité de
réduire les écarts entre les citoyens
dans l’accès à l’emploi de qualité grâce
à l'instauration d'une trajectoire de
croissance durable, de même que notre
inefficacité à réformer la gestion et la
gouvernance publiques, tant dans leurs
processus politiques et délibératifs que
dans le rôle d'acteur à donner à
l'administration régionale, et, enfin,
la difficulté de bâtir une solidarité
wallonne forte prenant appui sur la
diversité des acteurs, des citoyens, des
entreprises et des territoires
constituant la Wallonie.
Un
légitime désarroi à dépasser, une
confiance à restaurer
Voici plus de dix ans, le Collège
régional de Prospective a étudié les
problèmes de gouvernance afin d'en tirer
des enseignements pour les comportements
futurs en Wallonie. Il avait constaté
que les valeurs positives ainsi que les
bonnes pratiques existaient déjà, mais
qu'il importait de les généraliser. Dans
le contexte que nous connaissons, nous
nous réjouissons que le Parlement de
Wallonie se soit saisi de ces enjeux
avec volontarisme, c'est-à-dire avec la
ferme intention de comprendre les
déviances actuelles, d'y mettre fin
définitivement et d'empêcher à l'avenir
de nouveaux dysfonctionnements de cette
nature.
Dans la crise de
confiance qui se manifeste aujourd’hui
entre les citoyen-ne-s et leurs
représentants politiques, nous voulons
dépasser un légitime désarroi. Nous
exprimons ainsi une vive inquiétude
devant le risque de voir ces questions
occulter ou même affaiblir la priorité
principale qui reste le redéploiement de
la Wallonie. Il n’est pas besoin de
multiplier les constats et les
diagnostics ou de plaider longuement
pour observer que les résultats des
politiques actuelles ne sont pas à la
hauteur des espoirs et des ambitions qui
étaient hier et qui restent
collectivement les nôtres
[2].
De même, il nous paraît inutile de
rechercher les responsabilités ailleurs
que dans notre propre incapacité à avoir
pu, jusqu'ici, mobiliser suffisamment de
moyens humains et budgétaires nous
permettant de déclencher une dynamique
assez puissante pour concrétiser la
trajectoire souhaitée. Notre espoir
déterminé est d'accélérer les réponses
socio-économiques à une situation que
nous constatons périlleuse, mais que
nous savons pouvoir redresser, grâce à
nos nombreux atouts mais aussi grâce à
une gouvernance améliorée qui
constituera un des leviers de ce
redéploiement.
Un
point de rupture positif
Au-delà du passage à une gouvernance
plus exigeante, il s'agit en effet de
concevoir ce chantier comme une occasion
de bifurcation majeure où la Wallonie
s'oriente vers une trajectoire dans
laquelle nos entreprises produisent
suffisamment de valeur ajoutée pour
parvenir à une harmonie sociale, rendant
confiance et assurant un minimum de
bien-être pour toutes et tous. Même si
ce développement peut être multiforme,
c'est-à-dire alliant compétitivité
classique, attractivité, ouverture et
performance internationales, économie
circulaire, inscription dans la société
de la connaissance et l'économie
sociale, il est indispensable qu'il
dégage des excédents. Le rétablissement
des équilibres sociaux et territoriaux
est tout aussi impérieux, ainsi qu'un
investissement productif important dans
la recherche, l'innovation et la
formation.
Ainsi, nous avons
la conviction d'être parvenus à ce point
de rupture positif où, ayant atteint un
palier, nous voyons se dégager un nouvel
horizon vers lequel nous pouvons tracer
des chemins plus prometteurs. La loi de
financement nous a donné le rythme de ce
nouveau trajet puisque chaque année nous
rapproche de l'échéance du maintien du
mécanisme de transition dont bénéficie
la Wallonie : à partir de 2024, les
montants de cette solidarité fédérale,
jusqu'ici encore préservée, diminueront
chaque année de 10% pour disparaître et
se résorber en 2034. La question que
nous nous posons réside donc dans notre
capacité à retrouver les moyens
nécessaires au bien-être citoyen. Les
réponses apportées ne seront que
collectives et fondées sur les méthodes
simples que nous ne cessons de
préconiser depuis au moins trois
législatures, mais qui paraissent si
difficiles à mettre en œuvre : la
gouvernance délibérative, l'engagement
écosystémique et la contractualisation.
Il est en effet nécessaire que
l'ensemble des acteurs des différents
horizons s'associent et coopèrent autour
d'objectifs communs. C'est l'idée
fondamentale de l'implication des
acteurs dans un Pacte Commun pour la
Wallonie, fondant lui-même un Pacte
industriel, un Pacte social et un Pacte
territorial
[3].
On peut évidemment en ajouter d'autres,
à commencer par le Pacte d'Excellence
pour l'Enseignement et le Pacte pour
l'Emploi et la Formation, mais aussi :
un Contrat de lutte contre la pauvreté
et la dislocation sociale, un Contrat
pour la santé, etc. Les uns et les
autres pouvant d'ailleurs s'intégrer.
Qu'y placer ? des politiques collectives
- c'est-à-dire à la fois publiques et
privées - ambitieuses, qui restaurent la
confiance : une meilleure adéquation des
formations aux parcours individuels et
collectifs, un meilleur écosystème pour
les entreprises et les innovateurs, un
paysage démocratique et administratif
plus simple et plus lisible, des modes
de gouvernement qui rendent le contrôle
aux parlementaires et clarifient leurs
choix par rapport aux citoyens, une
pédagogie plus grande des enjeux et des
choix politiques, ainsi que des réponses
rapides et efficaces à la dislocation
sociale qui frappe les forces vives et
en particulier la jeunesse de Wallonie.
Cette mobilisation et cette association
des acteurs autour de projets partagés
concrétiseront la forme de gouvernance
dont la Wallonie a besoin pour
poursuivre le redressement entamé.
Porteuse de comportements nouveaux des
acteurs des mondes publics, privés et
associatifs, elle sera l’expression
d’une culture politique du XXIe siècle
et la condition d’un développement
durable pour les Wallonnes et les
Wallons.
Signatures
:
(s) Alain Beele,
Laurent Bosquillon, Dominique Cabiaux,
Bernard Caprasse, Luc Chefneux, Caroline
Decamps, Philippe Destatte, Jean-Louis
Dethier, Bernard Fierens Gevaert, Michel
Foret, Pierre Gustin, Florence Hennart,
Jean-Yves Huwart, Bernard Keppenne,
André Lambert, Dominique Loroy,
Pierre-Yves Maniquet, Bernadette Mérenne-Schoumaker,
Michel Molitor, Basilio Napoli, Jacques
Pélerin, Paul Piret, Philippe Suinen,
Philippe Toint, Michaël Van Cutsem,
Christian de Visscher
[4]
Les signataires, membres du
Collège régional de Prospective
de Wallonie et/ou du Groupe
Trajectoires, qui lui est
associé, ne s'engagent ici qu'à
titre personnel et non au titre
des institutions, entreprises ou
organisations dont ils font ou
ont fait partie.
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